4/9/2025

L'encadrement du crédit immobilier en France : impacts et perspectives

Une analyse des effets des mesures du HCSF sur l'encadrement du crédit immobilier en France. Le modèle Primmo révèle que ces mesures ont réduit le taux d'effort des emprunteurs mais ont eu un impact limité sur les prix immobiliers, les taux d'intérêt jouant un rôle bien plus déterminant sur le marché.

L'encadrement du crédit immobilier en France : impacts et perspectives

Introduction

Le crédit immobilier représente une part majeure dans la vie financière des ménages français. Face à l'augmentation de l'endettement immobilier, les autorités françaises ont mis en place des mesures visant à encadrer les conditions d'octroi de crédit. Ces régulations, initiées par le Haut Conseil de la Stabilité Financière (HCSF), sont devenues juridiquement contraignantes en 2022. Mais quels sont leurs effets réels sur les emprunteurs et le marché immobilier? Cet article explore les conséquences de ces mesures, à l'aide du modèle économique Primmo, et examine comment le marché pourrait évoluer dans différents scénarios.

Pourquoi encadrer le crédit immobilier ?

Un contexte d'endettement croissant

L'immobilier représente environ 62% du patrimoine brut des ménages français. La plupart des propriétaires acquièrent leur bien en contractant un emprunt qui équivaut souvent à plusieurs années de revenu. Cette situation peut présenter des risques pour la stabilité financière si l'endettement des ménages devient excessif par rapport à leurs revenus disponibles.

Les mesures du HCSF

Face à ces risques, le Haut Conseil de la Stabilité Financière a progressivement mis en place, à partir de 2019, des mesures visant à encadrer les conditions d'octroi de crédit. Ces mesures sont devenues juridiquement contraignantes en 2022, imposant notamment:

  • Un plafond de taux d'effort (part du revenu consacrée au remboursement) de 35%
  • Une durée maximale d'emprunt de 25 ans

La particularité de ces mesures est qu'elles sont devenues contraignantes simultanément à la hausse des taux d'intérêt, ce qui complique leur évaluation.

Le modèle Primmo : un outil d'analyse innovant

Qu'est-ce qu'un modèle à agents ?

Pour évaluer précisément les effets de ces mesures, les économistes ont utilisé le modèle Primmo, un modèle à agents (Agent Based Model ou ABM). Ce type de modèle permet de recréer de manière simplifiée les principales étapes du processus d'achat/vente d'un bien immobilier, en tenant compte des interactions entre des agents hétérogènes (acheteurs et vendeurs aux profils variés).

Fonctionnement du modèle

Le modèle Primmo utilise des données réelles issues de l'enquête patrimoine de 2020, représentant 14 490 individus de la population française. Il simule les comportements d'achat et de vente en tenant compte de multiples facteurs:

  • Du côté de l'offre: le taux de rotation des logements
  • Du côté de la demande: les intentions d'achat des ménages

Les acheteurs déterminent leur capacité d'achat en fonction de leur capacité d'emprunt et de leur patrimoine, tandis que les vendeurs fixent leur prix en fonction de la qualité du logement, des prix du marché et de la tension entre offre et demande.

Effets directs des mesures HCSF sur les emprunteurs

Baisse du taux d'effort et allongement des crédits

Le premier effet observable des mesures HCSF est une baisse significative du taux d'effort moyen des emprunteurs - de 1,6 à 2,2 points de pourcentage par rapport au scénario sans mesure. Cette diminution confirme que la limite de 35% était effectivement contraignante pour de nombreux emprunteurs.

En contrepartie, les ménages ont compensé cette limitation en augmentant la durée de remboursement de leurs crédits. La maturité moyenne des prêts est plus élevée de 5 à 6,75 mois grâce à l'introduction de la mesure HCSF. Toutefois, la hausse des taux d'intérêt a globalement poussé à la baisse cette maturité moyenne, l'effet des taux dominant celui de la limite du taux d'effort.

Taux d'effort moyen des emprunteurs

Un endettement plus modéré

Les mesures ont également permis de réduire le ratio entre l'emprunt total et le revenu annuel (LTI) de 0,15 à 0,2 années de revenu selon la tension du marché. L'endettement moyen des emprunteurs a diminué d'environ 3,71% dans un marché peu tendu.

Fait intéressant, le revenu moyen des acheteurs n'a pas été significativement affecté par les mesures HCSF à la fin de la période étudiée. Si ce revenu moyen a augmenté à partir de fin 2021, c'est principalement en raison de la hausse des taux d'intérêt, qui a naturellement exclu les acheteurs moins aisés. Les mesures n'ont donc pas eu d'effet sélectif supplémentaire dans un environnement de taux déjà élevés.

Revenu annuel moyen des acheteurs du marché immobilier

Impact sur le marché immobilier

Des effets limités sur les prix et les transactions

Les effets des mesures HCSF sur le marché immobilier lui-même sont significatifs mais relativement limités. Les prix moyens du mètre carré en août 2024 sont plus faibles de 0,50% à 0,75% dans le scénario avec mesure HCSF, notamment en raison d'une tension de marché réduite par la baisse du nombre d'acheteurs.

En revanche, les mesures n'ont pas eu d'impact significatif sur le nombre de transactions dans un marché tendu, car le nombre de demandeurs est resté suffisamment important. De même, aucun effet n'a été observé sur la qualité et la surface des logements échangés.

Que se passerait-il en cas de retrait des mesures ?

Un arbitrage différent entre taux d'effort et maturité

Le modèle Primmo a également été utilisé pour analyser l'effet hypothétique d'un retrait des mesures HCSF, dans différents contextes de taux d'intérêt. Sans ces mesures, les emprunteurs ne seraient plus contraints dans leur arbitrage entre taux d'effort et durée d'emprunt.

Dans ce scénario, on observerait:

  • Une augmentation du taux d'effort
  • Une diminution de la maturité des emprunts
  • Une hausse de l'endettement moyen de 1,9% à 3,4% après un an
  • Une baisse du revenu moyen des acheteurs, indiquant l'entrée sur le marché d'acheteurs moins aisés

Taux d'effort moyen des emprunts immobiliers

Des effets modestes sur le marché immobilier

Le retrait des mesures n'aurait pas d'impact sur le volume de transactions à long terme. À court terme, un impact ne serait observable que si les taux restaient élevés, le retrait des mesures compensant alors la faiblesse de la demande due aux taux élevés.

Concernant les prix immobiliers, le retrait des mesures aurait un impact quasi nul à court terme, mais pourrait augmenter le prix moyen du mètre carré de 0,63% à 1,25% à long terme.

L'influence déterminante des facteurs externes

Le rôle crucial des taux d'intérêt

Les analyses montrent que le contexte de taux d'intérêt joue un rôle beaucoup plus déterminant que les mesures réglementaires sur la dynamique du marché immobilier. Une hausse des taux (comme celle observée en 2022) provoque des effets marqués:

  • Baisse des transactions de 14,5% après un an
  • Diminution du ratio emprunt/revenu de 0,63 année au bout de cinq ans
  • Augmentation du revenu moyen des acheteurs de 2,41%, indiquant une sélection des ménages plus aisés
  • Réduction de la maturité moyenne des emprunts de 12 mois après un an

Impact d'autres facteurs économiques

D'autres facteurs économiques, comme la construction de nouveaux logements ou l'évolution des loyers, ont également des impacts significatifs sur le marché:

  • Un choc de construction (hausse de 1% du stock de logements neufs) diminue l'endettement moyen de 3,74% après un an et fait baisser les prix à long terme
  • Une hausse des loyers de 5% augmente le volume de transactions de 7,2% après un an et fait monter les prix de 2,48% au bout de cinq ans

Le marché s'ajuste d'abord par les quantités (nombre de transactions) puis, avec un certain retard, par les prix. Ce décalage s'explique notamment par les anticipations adaptatives des ménages dans le modèle.

Conclusion

Les mesures d'encadrement du crédit immobilier mises en place par le HCSF ont eu des effets significatifs mais mesurés sur les conditions d'emprunt et le marché immobilier français. Elles ont principalement permis de réduire le taux d'effort des emprunteurs, au prix d'un allongement de la durée des prêts, et ont modérément tempéré les prix immobiliers.

Toutefois, ces effets restent secondaires par rapport à l'influence déterminante de facteurs externes, en particulier les taux d'intérêt. La hausse des taux observée depuis 2022 a joué un rôle bien plus important dans l'évolution du marché que les mesures réglementaires elles-mêmes.

Pour les emprunteurs, ces résultats suggèrent que le contexte économique général, et notamment le niveau des taux d'intérêt, reste le facteur principal à considérer dans leurs projets immobiliers, bien avant l'impact des mesures réglementaires.

Pour les décideurs politiques, ces analyses confirment que les mesures macroprudentielles peuvent contribuer à tempérer l'endettement excessif, mais qu'elles ne sauraient se substituer à une politique monétaire adaptée pour réguler efficacement le marché immobilier.

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